Cet article vous est présenté par la Fondation GoodPlanet.
Peut-on vivre d’une forêt-jardin ? Une expérimentation d’agroforesterie conduite à la Ferme du Bec Hellouin, dont les propriétaires Perrine et Charles Hervé-Gruyer se sont fait connaître pour leurs travaux sur la permaculture, tente d’apporter un début de réponse. Ils ont ainsi consacré 300 m² de parcelles au développement et à l’exploitation d’une mini forêt-jardin. Ils ont, pour l’occasion réalisé une première étude, Peut-on vivre d’une forêt-jardin ? rapport technico-économique N°3 ,qui présente des résultats encourageants.
L’agroforesterie en Normandie
« On produit beaucoup avec peu de travail. La mini forêt-jardin s’est révélée, contre toute attente, productive et rentable dés la première année », résume Charles Hervé-Gruyer quand il évoque la forêt-jardin. Ce concept d’agroforesterie imite le système naturel des forêts et notamment de leurs lisières afin d’associer arbres et cultures. L’agroforesterie se pratique habituellement dans des milieux tropicaux.
Les maraîchers du Bec Hellouin appliquent depuis 4 ans ces principes d’agroforesterie sur leur exploitation en Normandie sous un climat tempéré. Ils les étudient afin de déterminer la viabilité économique de ce modèle agroforestier qu’ils souhaiteraient voir se généraliser. « La forêt-jardin n’avait jamais été pratiquée en Occident. Elle a été adaptée, il y a quelques décennies en Angleterre, puis en France, mais de manière assez confidentielle. Nous avons voulu imaginer un modèle dans lequel on peut en vivre. Et si c’est possible d’en vivre, alors les forêts-jardins se multiplieront. Un nouveau métier apparaitra : sylvanier, le jardinier de la forêt. », explique l’exploitant du Bec Hellouin.
Cette « éco-culture », comme Charles Hervé-Gruyer aime l’appeler, se compose de plusieurs strates de végétaux comestibles. Cultiver ainsi sur plusieurs étages offre un gain de place conséquent et permet d’atteindre des niveaux de production très élevés par mètre carré de surface cultivée.
Une expérimentation encourageante
Leur rapport « Peut-on vivre d’une forêt-jardin ? rapport technico-économique N°3 » indique que « la charge de travail moyenne sur quatre ans est de 96 heures par an ». C’est « bien moins qu’un jardin maraîcher qui demande une astreinte sept jours sur sept », selon Charles Herve-Gruyer. Ce type de cultures demande beaucoup moins d’interventions humaines : les sols n’ont pas besoin d’être labourés. La forêt-jardin produit en grande partie sa propre fertilité, elle requiert donc peu d’intrants.
« Il suffit d’être là à certains moments stratégiques pour tailler, désherber et récolter », précise ce spécialiste de la permaculture. « Les champignons, les petits fruits, les plantes sauvages et aromatiques offerts par la forêt-jardin se vendent bien et sont valorisés ». C’est « une activité économiquement rentable », puisqu’en 2019 une heure passée dans la mini forêt-jardin a permis de récolter une production équivalente à 39,90 €.
« Les forêt-jardins sont un objet agricole créant de la valeur économique intéressante pour une optique commerciale », conclut ce premier retour d’expérience. Cependant, la mini-forêt jardin du Bec Hellouin n’a pas encore atteint sa pleine production, laissant penser que la rentabilité pourrait être bien plus élevée dans les années à venir. Aujourd’hui, cette activité, dite de sylvanier se révèle une activité complémentaire au maraîchage.
Généraliser les forêts-jardins ?
Pour Charles Hervé Gruyer, « l’usage que l’on fait des forêts aujourd’hui est très pauvre par rapport à leur potentialité ». Il éclaire d’un chiffre : « un hectare de châtaigniers donne autant de protéines végétales qu’un hectare de blé, et il n’y a pas besoin de labourer ni de mettre d’intrants ».
Les forêt-jardins apportent une flexibilité formidable qui laisse la possibilité d’avoir une activité en parallèle, qu’elle soit maraichère ou tout autre. Elles peuvent s’établir sur des petites surfaces, c’est-à-dire à partir de quelques dizaines de mètres carrés. Ou encore à très grande échelle grâce à des « forêts comestibles ». Il est donc envisageable d’imaginer une multitude de forêt-jardins chez des particuliers en zone rurale comme en zone urbaine. « Cela occupe très peu d’espace, plus c’est petit et soigné, plus ça rapporte » indique Charles Hervé-Gruyer. Son rêve, que chaque village et petite ville aient leurs fermes et leurs forêt-jardins afin de favoriser les circuits courts et l’indépendance alimentaire.
L’étude montre la rentabilité potentielle de ce modèle agro-écologique dans le cadre d’une activité connexe, mais soulève aussi certaines questions relatives à nos habitudes alimentaires. Car, les produits cultivés sont parfois peu connus (cornouilles, argouses, baies de mai), ou chers (fruits à coque, framboises, fleurs comestibles). Ils peuvent connaître des difficultés de commercialisation. De plus, il faut des années avant que l’écosystème devienne commercialement productif et génère un complément de revenus. Enfin, ce système en strates est sans doute « l’un des systèmes agricoles les plus complexes à concevoir » fait remarquer le rapport. Le sylvanier doit alors être formé et bien entouré pour concevoir sa forêt-jardin (choix des espacements, des variétés, des expositions de lumière).
Il déplore que « aujourd’hui, nous ayons une manière de nous nourrir qui ravage la planète ». L’humanité se nourrit à 60% de blé, de riz et de maïs, des cultures de plaines qui détruisent les milieux naturels et nécessitent un travail et un traitement des sols. Fort de son expérience en agroforesterie, Charles en appelle à « un mouvement de bascule, de transition d’une agriculture de plaine et de milieux ouverts vers une agriculture qui repose davantage sur les arbres. Avec la forêt-jardin, nous avons un modèle qui est bon pour la planète en plus de donner une nourriture d’excellente qualité pour les humains ».
Lola Chupin et Julien Leprovost
Ferme du Bec Helloin – © Clément Tiers/Yann Arthus-Bertrand